Céline Cochin, mai 2024
L’autorité, je l’ai très souvent constaté au cours de ma vie professionnelle, est un révélateur de l’unité intérieure et de ses éventuelles fragilités. Elle effet, à travers l’exercice de l’autorité nous révélons notre personnalité et notre caractère, voire notre tempérament. On parle de plus en plus de « leadership » pour exprimer la qualité de celui de qui émane une certaine autorité, naturelle ou non. Certes ce concept, emprunté à la tradition anglophone, ne doit pas être employé pour éviter le terme d’autorité qu’on abandonne trop facilement à ses détracteurs soixante-huitards qui en ont fait une caricature verticale et brutale.
Depuis plus de 10 ans un mouvement pour le développement du Leadership vertueux est né grâce aux travaux d’Alexandre Dianine-Havard[1]. La démarche de ce consultant franco-russe consiste, à partir d’une juste compréhension des tempéraments, à proposer un chemin de pratique des vertus propres au leadership managérial. La force de cette démarche réside dans une juste et intégrale compréhension du bien commun. Comme toujours dans ces processus de développement personnel il convient de commencer par la connaissance de soi, « Connais-toi toi-même », aurait dit Socrate.
Toutes les méthodes de développement personnel prennent pour point de départ un processus de connaissance de soi. La connaissance de soi est un effort de distanciation pour sortir de l’immersion de notre existence contingente, c’est un retour sur nous-même, elle est une tentative d’objectivation de qui nous sommes, un moyen de prendre connaissance de nos tendances psychologiques profondes. Par la découverte de soi deux chemins se clarifient, celui de la connaissance et celui de l’action. En effet, les étapes de la connaissance et de nos apprentissages intellectuels sont dépendantes de notre vie sensible, de nos passions, de notre tempérament. De même que le processus d’action est déterminé par ce même terrain initial de notre personnalité. Alors, si notre manière d’apprendre et notre façon d’agir sont déterminées par notre tempérament (sanguin, colérique, mélancolique ou flegmatique), il semble essentiel d’en connaitre les tendances spontanées pour mieux les appréhender et les ordonner rationnellement. Nous ne nous attarderons pas dans cette étude sur l’analyse systématique des tempéraments et je renvoie mes lecteurs aux travaux de l’Institut de Leadership Vertueux qui permettent notamment de réaliser des tests de connaissance de soi. En revanche, il nous semble intéressant pour notre sujet d’approfondir l’apprentissage des vertus du manager ou du leader.
Vertus et personnalité
De même que le terme d’autorité est victime d’une caricature qui tend à en destituer toute légitimité, de même le terme de vertu est tombé dans une désuétude poussiéreuse et moralisatrice. Pourtant il me semble essentiel d’en restaurer le sens profond et l’actualité.
Les travaux d’Aristote dans « L’éthique à Nicomaque » nous permettent de comprendre que la pratique de la vertu n’a pas sa finalité en elle-même. On ne cherche pas à être vertueux pour se satisfaire d’être vertueux. Selon lui, la vertu est la voie qui conduit à la liberté et au bonheur, au sens où elle est la forme de l’acte humain la plus proche de l’ordre naturel. C’est le chemin par lequel nous apprenons à maitriser notre tempérament, nous donnons une structure stable à notre caractère. Alors que nous sommes naturellement menés par les inclinations de notre tempérament, la vie vertueuse nous apprend peu à peu à donner un ordre à nos actions. Alors que le tempérament nous est donné par la naissance, le caractère va naitre de cette pratique de la vertu. C’est un enjeu essentiel de l’éducation que d’ouvrir le cœur d’une personne à la pratique des vertus dont elle a le plus besoin par rapport à son tempérament personnel. Mais c’est aussi un enjeu managérial que d’apprendre à pratiquer les vertus correspondantes à notre tempérament, cela permet de rester dans l’équilibre du juste milieu et de découvrir comment on peut exercer un juste leadership pour soi-même tout d’abord et pour les autres ensuite.
« On ne naît pas leader, on le devient. La vertu est une habitude acquise par la pratique. Le leadership est une question de caractère (vertu, liberté, croissance), et non de tempérament (biologie, conditionnement, stagnation). Le tempérament peut favoriser le développement de certaines vertus et ralentir le développement d’autres, mais il arrive un moment dans la vie du leader où ses vertus impriment un caractère (un sceau) sur son tempérament, de sorte que son tempérament cesse de le dominer. Le tempérament n’est pas un obstacle au leadership : l’obstacle au leadership est le manque de caractère, l’absence d’énergie morale qui nous rend esclaves de notre constitution biologique[2]. »
Alors que certains voient dans le tempérament un déterminisme biologique incontournable, cette réflexion apporte beaucoup d’espérance sur la capacité que nous avons à modifier la trajectoire spontanée de notre terrain psychologique initiale. Le caractère, compris comme une énergie morale libératrice, est acquis grâce à une pratique répétée et ordonnée des vertus de force ou de courage, de tempérance ou de maitrise de soi, de justice et de prudence. La pratique d’un art, technique ou créatif, permet de comprendre par analogie la formation du caractère. En effet, le jeune apprenti musicien progresse dans son art par une répétition intentionnelle de ses gestes. Les gammes, puis la méthode rose, quelques pièces musicales un peu plus ardues, puis les œuvres classiques des grands compositeurs, représenteront les étapes de progressivité jusqu’à l’acquisition de l’habitus vertueux de la musique. Et le mot même de virtuose se décline de celui de vertu.
Magnanimité et humilité
Nous connaissons bien les quatre vertus cardinales citées précédemment et héritées de la tradition réaliste, mais nous connaissons moins les deux vertus complémentaires par lesquelles se déploie le leadership vertueux, la magnanimité et l’humilité.
« La magnanimité est un idéal de la grandeur de l’homme, un idéal de la confiance en l’homme. La magnanimité est la vertu de l’action. Elle est la forme suprême de l’espérance humaine. La magnanimité est une vertu capable d’embrasser toute une vie et de conduire l’homme vers l’épanouissement de sa personnalité. Elle est la première vertu spécifique du leader. »
« Au sens propre l’humilité est l’habitude de vivre dans la vérité. Vivre dans la vérité c’est reconnaître sa condition de créature, ainsi que ses faiblesses naturelles et ses défauts personnels. C’est aussi reconnaître sa dignité et sa grandeur, ainsi que son talent et sa vertu. Finalement c’est reconnaître la dignité et la grandeur de l’autre. (…) L’humilité est le fruit de la connaissance de Dieu, de la connaissance de soi, et de la connaissance de l’autre. »
« La magnanimité est inséparable de l’humilité. Au plan des tâches proprement humaines, l’homme a le droit et le devoir de mettre sa confiance en soi (magnanimité), sans oublier qu’il tient de Dieu les forces humaines dans lesquelles il met sa confiance (humilité). »[3]
Tempéraments et vertus
Le tempérament du colérique est tourné vers l’action, ses points forts sont l’énergie, l’enthousiasme, sa confiance en lui et sa force de décision. C’est un manager né, il fait avancer les choses rapidement et initie de nombreux projets. Ses points faibles sont dans son inclination à l’orgueil et à la colère. Il ne reconnait pas facilement ses erreurs. Il tombe dans l’activisme facilement en ne délibérant pas assez. Dans la direction des personnes, il a du mal à respecter les sentiments des autres, à les faire grandir, à les responsabiliser, à les servir.
Quelles sont les prédispositions du colérique pour pratiquer les vertus ? Et quelles vertus en particulier devra-t-il rechercher ?
- La vertu de prudence : le colérique est faible dans les phases de conseil et de délibération mais il est excellent pour la décision. Il doit donc apprendre à s’asseoir pour écouter et analyser son champ d’action.
- La vertu de force : le colérique a de très bonnes dispositions pour pratiquer cette vertu. Il est audacieux et endurant, cela va lui donner de l’assurance et de la stabilité dans ses combats. A condition bien sûr qu’il reste maitre de lui-même et que la colère ne soit pas l’énergie de son action.
- La vertu de tempérance : prompt à l’orgueil, la colère et la haine, il va rencontrer des difficultés à mortifier ses passions basses. Mais il peut grandir en maitrise de lui-même en stimulant ses passions nobles. Il est rempli d’énergie et d’enthousiasme qu’il peut se mettre au service d’une grande cause et ainsi diriger ses passions.
- La vertu de justice : il a tendance à être conflictuel et dictatorial, il peut devenir méprisant vis-à-vis de ceux qui n’ont pas son énergie. La recherche de la concorde entre les personnes est une difficulté pour lui. Mais son énergie et son besoin d’agir peuvent en faire un serviteur efficace du Bien commun par son travail, sa vie de famille et sa vie sociale.
- La magnanimité : conscient de ses talents et de sa force, il a le gout pour les grandes causes pour lesquelles il a conscience d’être capable d’en relever le défi. Mais il est enclin à l’activisme et doit passer davantage de temps à méditer sur le sens de son action pour donner de l’épaisseur à son engagement.
- L’humilité : la conscience de ses talents le conduit à une bonne connaissance de lui-même. Mais cette même qualité le conduit facilement à l’orgueil ou à refuser de reconnaitre ses erreurs. Il faut donc l’aider à penser ses talents comme des dons qu’il a vocation à mettre au service des autres. Il doit prendre conscience que commander c’est servir et c’est un honneur.
[1] D’origine française, russe et géorgienne, Alexandre Dianine-havard est l’auteur du système de Leadership Vertueux et le fondateur de l’Institut de Leadership Vertueux (https://hvli.org/fr/). C’est avec son aimable autorisation que nous reproduisons certains extraits de ses écrits. Nous renvoyons à ses ouvrages, notamment « Créé pour la grandeur » 2015, « Du tempérament au caractère » 2018 ou le dernier « Cœurs libres » 2020, tous aux éditions Le Laurier.
[2] Alexandre Dianine-Havard « Créé pour la grandeur » édition du Laurier – page 11
[3] Alexandre Dianine-Havard « Créé pour la grandeurs » page 28